Une rencontre passionnante avec Mme Marie-José Chombart de Lauwe qui, malgré les nazis, a toujours un peu d’espoir de Bréhat.
Henri Simon, conseiller municipal
Le jour où j’ai obtenu un rendez vous avec Marie-José Chombart de Lauwe, j’ai eu un pincement au cœur. Cela faisait longtemps que je souhaitais la rencontrer pour échanger avec elle. Je m’attendais à découvrir un monument de la résistance française mais j’ai surtout rencontré une dame sympathique, très attentionnée, gentille au sens plein du terme, à l’écoute et tellement disponible.
Je connaissais son histoire au service de la démocratie, sa lutte acharnée contre le nazisme, pour la liberté et pour faire progresser les forces de l’esprit. Sa vie de résistante pendant la seconde guerre mondiale mais aussi son engagement tout au long de son existence, contre tous les extrémismes ont toujours été, pour moi, un modèle.
Mais je voulais la rencontrer pour parler avec elle de Bréhat. Savoir ce qu’avait représenté pour elle notre belle île pendant les moments très durs de captivité qu’elle a vécus.
Née Wilborts, l’histoire bréhatine de sa famille commence avec le grand-père qui découvre notre île dans le cadre de son service militaire. Il tombe amoureux de Bréhat et y construit une petite maison à Ker-Avel. Marie-José, née le 31 mai 1923 à Paris, y passera la plupart de ses vacances. Au milieu des années 30, son père, qui a été gazé lors de la première guerre mondiale, doit s’installer dans un endroit où l’air est plus sain que celui de la capitale. La famille s’établit tout naturellement à Bréhat et Ker Avel devient sa résidence principale.
Marie José, qui doit poursuivre sa scolarité, n’apprécie pas les collèges du continent et décide alors de poursuivre ses études par correspondance. Elle vit donc à plein temps à Bréhat, l’île devient son terrain de jeu favori, elle y fréquente de nombreux petits bréhatins. Sa maman, sage-femme, va souvent aider les femmes de l’île à accoucher. Pour cet engagement, la famille Wilborts est appréciée par les bréhatins. Pour Marie-José, Bréhat représente, à ce moment, l’espoir d’une vie belle dans un endroit magique.
Mais en 1940 les allemands arrivent sur l’île, la période bénie se termine. Ayant obtenu son Baccalauréat, elle entame des études de médecine à Rennes. Toutefois, le fait de résider à Bréhat lui permet de bénéficier d’un ausweis (laisser-passer) pour circuler sur la côte, alors définie par l’occupant comme zone interdite. Elle ne peut se résoudre à la présence des allemands et tout naturellement elle intègre le réseau de résistance Georges France 31. Faisant fi du danger que cela représente pour la jeune femme qu’elle est alors, elle est une résistante active et transporte des messages de Rennes à Bréhat. Pour le réseau Bréhat est l’antenne à partir de laquelle passent à Londres des informations sur les mouvements de troupes ou les fortifications allemandes. Cette fois, pour Marie-José, Bréhat est l’espoir de la libération.
Hélas, cet espoir s’écroule bientôt.
Infiltré par un agent double, tout le réseau est arrêté par la police allemande. Marie-José tombe dans les filets de la Gestapo le 22 mai 1942. Commence alors, pour elle, une vie de détenue dans plusieurs prisons françaises (Rennes, Angers, La Santé et Fresnes), puis de déportée à Ravensbrück et à Mauthausen sous le matricule 21 706. Lors de sa captivité, le souvenir de Bréhat est un roc, certes lointain, mais un roc auquel elle s’agrippe, un havre où en pensée elle vient parfois s’abriter pour trouver un peu de réconfort mental. Elle évoque Bréhat avec ses camarades de détention, elle raconte la beauté de l’endroit où elle a vécu et partage l’idée de venir un jour découvrir l’île. C’est un moyen de s’extraire de l’horreur, un rêve lointain qui apaise quelques instants les souffrances, qui transporte les corps et les esprits éreintés ailleurs. Bréhat devient un espoir de retour, un espoir d’échapper, d’une façon ou d’une autre, à la cruauté nazie.
Pendant ces longs mois de captivité, la présence de sa maman auprès d’elle dans les camps, le souvenir de son père, le rêve de Bréhat lui donnent un peu de force. Mais la réalité, dans les camps est terrible. Elle touchera l’inhumanité la plus totale dans le bloc des nourrissons à Ravensbrück où elle voit mourir les bébés, jour après jour et malgré ses efforts, faute de soin et de nourriture. Bréhat s’efface presque tout à fait.
Quand à la Libération en avril 1945 Marie-José retrouve son île chérie, l’enfer est si profondément ancré en elle que « …dans ma maison, je me sens morte. Bréhat que j’ai tant aimé ne me touche même plus ; sa beauté vraie et forte me reste extérieure » (Toute une vie de résistance Pop’com 1998) Le temps passant pourtant, elle retrouve cet amour pour son Bréhat Espoir.
Il la porte encore aujourd’hui.