Edmond Haraucourt

Un visionnaire à Bréhat

Jean Philippe Outin et Henri Simon

La démarche du poète Edmond Haraucourt de protéger Bréhat dès le début du XXe siècle montre à quel point il était en avance sur son temps. Mais comme tous les visionnaires, il n’a pas toujours été compris par ses contemporains. Aujourd’hui son héritage et sa maison font partis du patrimoine bréhatin.

haraucourt
Edmond Haraucourt

« Partir, c’est mourir un peu,
C’est mourir à ce qu’on aime :
On laisse un peu de soi-même
En toute heure et dans tout lieu

C’est toujours le deuil d’un vœu,
Le dernier vers d’un poème ;
Partir, c’est mourir un peu. 
C’est mourir à ce qu’on aime

Extrait du poème le « Rondel de l’adieu », paru dans Seul en 1890.
Qui ne connaît pas ces vers ou du moins le premier d’entre eux. C’est évidemment d’Edmond Haraucourt dont on parle.

Né en 1856, il se fait connaître en 1882 par un livre de poésie érotique : « La Légende des sexes, poèmes hystériques et profanes » publié, en Belgique, sous le pseudonyme Sire de Chambley. En France cet ouvrage est censuré de la même façon que « Les Fleurs du mal » de Baudelaire. Il renvoie à la légende des siècles de Victor Hugo qui le félicite pour son travail. Haraucourt fait parti des premiers  poètes Parnassiens. Il est ensuite conservateur du musée du Trocadéro à Paris de 1894 à 1903 puis du musée de Cluny dans la même ville de 1903 à 1925.

Il fréquente Renan, philologue et philosophe, libre penseur, anticlérical. Dans les années 1890, il lui fait découvrir Bréhat.
En visitant l’île, Haraucourt en tombe éperdument amoureux. Il apprécie la présence d’une nature sauvage dans l’ensemble préservée et la beauté du site. Il en dira plus tard:
« Quand on connaît Bréhat, on y pense. Quand on y pense on y revient. Quand on revient, on l’adopte »

Mais Bréhat est aussi exploité pour son granit rose par les bréhatins. De nombreux endroits sont de véritables carrières qui dénaturent l’environnement.

Il n’aura de cesse de trouver des moyens pour mieux protéger Bréhat.
Dans cette optique, il va utiliser l’argent gagné grâce à la publication de ses recueils et des contrats de publication qu’il a signé avec le journal « Le Temps » pour acheter plusieurs hectares de terrain. L’objectif premier est de protéger ce qui peut l’être.
Dans les années 1895-1900, il va s’atteler à la construction de sa maison. Il en dira « Les murs de cette maison sont faits d’alexandrins ». Cette maison sera surnommée la Maison Kervarabes.
En parallèle il va continuer à acheter des terrains toujours dans un objectif de protection.

La maison de la donation Haraucourt
La maison de la donation Haraucourt

Mais il se rend bien compte que sa démarche n’est pas suffisante pour assurer une protection efficace de Bréhat.

Dans sa situation de poète en vue, il a de nombreuses relations avec le monde politique et notamment des députés.
Il va les convaincre de voter une loi protégeant les sites naturels. Ce sera la loi de 1906. François Le Monnier, Maire de l’époque, va demander au ministre des Beaux Arts de classer la commune de l’île de Bréhat lors de la séance du conseil municipal du 19 mai 1907. Bréhat est classé le 13 Juillet 1907. C’est le premier site classé au titre de la nouvelle loi. Bréhat ne cessera de l’être. Mais la démarche du maire de l’époque ne doit pas faire oublier l’opposition de beaucoup de bréhatins à la démarche d’Haraucourt. Il est ostracisé. Les commerçants refusent de le livrer. Ils ne comprennent pas qu’un résident secondaire, car il s’agissait bien d’un résident secondaire (déjà !!!), puisse leur dicter la loi et leur interdire d’exploiter le granit rose qui était quand même une source non négligeable de revenu.

Avec le temps l’hostilité va s’apaiser. Mais cette situation montre à quel point Haraucourt a été à l’avant-garde en matière de protection de l’environnement et qu’il fallait avoir beaucoup de courage pour faire aboutir la loi de 1906. En 1929, sans descendant, il décide avec son épouse de s’associer à l’œuvre de la Cité internationale. Ils vont lui léguer leur patrimoine sur l’Île de Bréhat. Haraucourt décède en 1941 en ayant poursuivi sans relâche l’achat de terrains toujours dans l’optique de la protection. Son épouse Mathilde resta usufruitière du patrimoine jusqu’à sa mort en 1961. La maison était un véritable musée, comportant notamment le masque mortuaire de Victor Hugo, ainsi qu’un portrait de taille réelle de Sarah Bernard.

La cité universitaire internationale de Paris, présidée aujourd’hui par M. Jean-Marc Sauvé, ancien Vice président du Conseil D’État, devient pleinement propriétaire du site. Comme le souhaitait le couple de donateurs, cette maison permet à la Cité « d’accueillir, au bord de  mer, un certain nombre  d’étudiants étrangers qui ne peuvent pas regagner leurs pays ». La maison Haraucourt est devenue une vraie maison de vacances, qui accueille depuis plus de 50 ans des résidents venus du monde entier.

Jean Philippe Outin
Jean Philippe Outin

La gestion des réservations est effectuée à Paris. Sur place, depuis 2014, Jean-Philippe Outin assure l’accueil des étudiants et la gestion du site proprement dit.  La donation Haraucourt est propriétaire d’un domaine foncier important dont la logique de protection de l’environnement préside encore aujourd’hui à l’action de la cité.

Jean Philippe lui a donné une nouvelle impulsion en entretenant et donnant une nouvelle vie à la maison de Kerrien dont est également propriétaire la donation.

Depuis maintenant 90 ans la donation Haraucourt rappelle que la volonté de protéger l’environnement est un combat qui doit se mener chaque jour.

Une chambre
Une chambre