Quel avenir pour nos déchets verts ?

Pour éviter les solutions individuelles parfois polluantes pour le traitement des déchets verts, il faut définir une approche collective et municipale.

Par Yann-Hervé De Roeck

Ashes to ashes and dust to dust… (de la cendre à la cendre et de la poussière à la poussière)
Après tout, rien de plus naturel : Bréhat, très fertile, « tout y pousse! », produit une biomasse abondante, fleurie, superbe. Il n’y a pas de jardin public, mais pour ce qui n’appartient pas aux landes, au bois du Goareva et aux parcelles agricoles, l’ensemble des propriétés est souvent vanté comme un très vaste parc, qui fait l’admiration des touristes et notre fierté. L’entretien de ces jardins fait appel aux bras de leurs propriétaires et génère également une activité économique très importante. Sur les 300 hectares de surface de l’île, on peut estimer que les espaces entretenus en parcelles tondues, fleuries, taillées, etc. en constituent la moitié, voire davantage en intégrant les zones publiques entretenues par la commune. Fort bien, nul besoin de trouée verte en notre île ! Mais que fait-on des déchets verts générés ?

Avant de répondre, le petit calcul suivant reprend les chiffres issus d’une audition au Sénat, consacrée à la biomasse. En moyenne, à l’hectare, ce sont 10 tonnes de matière sèche, soit 30 tonnes humidité comprise, que produisent nos pelouses, nos potagers, mais également nos haies et nos arbres, lesquels croissent sans cesse comme le montrent les comparaisons entre cartes postales du début du 20ème siècle et paysages actuels…

Les points de vue sur l’archipel pâtissent sans doute du fait que nul n’a l’ambition de « récolter » cette biomasse avec un bilan annuel nul ! Par conséquent on peut évaluer, au mieux, aux 2/3 l’effort de taille et de coupe, soit 20 tonnes de matière végétale humide à traiter par hectare. Ce chiffre peut paraître phénoménal,  mais cela ne représente que 5 ou 6 m3 (avant tassement, au moment de la mise en tas) pour un terrain de 1000m². Une petite vérification mentale qui persuadera tout un chacun que ces calculs ne sont pas délirants. Donc, en reconnaissant que cette estimation mérite d’être affinée, avec un seul chiffre significatif pour ne donner que l’ordre de grandeur, ce sont environ 4 000 tonnes de déchets verts à traiter par an.

Or que faisons-nous aujourd’hui sur Bréhat, en absence de solution communale puisque la déchetterie n’a pas de compartiment déchets verts, et qu’il n’y a en conséquence pas de collecte ? Trois solutions :
La plus vertueuse consiste à entretenir (ou à faire entretenir, ce qui est tout aussi louable) un compost dans son propre terrain. Cela suppose de disposer d’un endroit dédié (le compostage ne produit pas de mauvaises odeurs), d’un broyeur (en encourageant le partage, mais aussi  l’investissement par les professionnels), mais aussi d’un peu d’attention car un broyeur individuel ne supporte pas la terre et il faut donc traiter indépendamment les racines et les mauvaises herbes arrachées… Ensuite, la fertilité du jardin bénéficie de l’usage de ce compost.
Le brûlage : si l’odeur des feux d’herbes a de tous temps marqué le souvenir olfactif de quiconque a la chance de passer la nuit à Bréhat, on ne peut aujourd’hui ignorer que cette commodité constitue une véritable pollution aux particules fines et produit, du fait d’une combustion à basses températures, des gaz à effets de serre bien plus pénalisants que le CO2. Une directive européenne de 2008 interdit cette pratique pour les jardins privés. La transcription en droit français par une circulaire de 2011 a prévu que le Préfet peut réglementer l’usage du feu sur son département en prenant des dérogations. Au plan communal, cette tolérance est appliquée, en n’interdisant les feux qu’aux heures de fréquentation touristique en saison estivale. Bien que disposant d’un broyeur, l’auteur de cet article avoue également user de cette libéralité.
Le rejet dans les falaises : est-ce préférable à vider sa brouette sur des parcelles imaginées à l’abandon, mais qui finalement appartiennent forcément à quelqu’un ? Toujours est-il que nos grèves sont souvent affectées par cette pratique qui ne contribue pas, contrairement à des idées reçues, à la protection du trait de côte. Outre l’aspect inesthétique d’observer ainsi « l’envers du décor » des propriétés de bord de mer, il faut prendre en compte le véritable impact environnemental de cette biomasse aboutissant systématiquement à la mer : en effet, les linéaires côtiers ne reçoivent pas naturellement de tels apports de matières végétales (exceptés les marais côtiers tels ceux du nord-ouest de l’île). Leur décomposition conduit à une anoxie (manque d’oxygène) des vases et leur donne une couleur noire ou rouge visible lorsqu’on y porte un coup de bêche. L’impact négatif sur la production et la qualité de la flore et la faune benthique, important, a été observé par le réseau national REBENT de suivi des estrans.
Dès lors, en constatant que le compostage/broyage individuel ne peut pas être imposé aux particuliers, et difficilement aux professionnels, quelle solution apporter ?

La solution est très certainement un investissement communal sur une nouvelle activité de la déchetterie, avec l’achat d’un broyeur. Son usage et la gestion du compostage entrainera très certainement la création, a minima, d’un emploi dédié. Quel coût ? Un équipement « industriel » de base est calibré à une dizaine de milliers de m3 par an de déchets bruts, ce qui correspond à la production estimée. Des subventions de l’agence de l’eau (en charge également des eaux côtières, donc celles affectées par les rejets en falaise), de l’ADEME (très attentive à la qualité de l’air), de la Région (désormais en charge de la politique des déchets) peuvent très clairement être obtenues pour la phase d’investissement. En ce qui concerne l’exploitation, une part du surcoût peut être couverte par la vente du compost, quoique l’apport volontaire jusqu’à la déchetterie pourrait se voir récompensé par la distribution gratuite de compost. Car la question de la collecte doit également être envisagée avec lucidité : en créant des points de collecte par hameau, avec des surfaces dédiées, bien délimitées, sur les parcelles communales présentes sur la plupart des tertres. Le ramassage depuis ces lieux pourrait être reporté hors saison touristique, comme le transport des balles de déchets ménagers. Le tout accompagné d’un discours clair sur l’importance de cette démarche, faisant appel au civisme afin qu’il ne s’agisse que de déchets verts. Notre île, notre archipel, méritent bien cet effort : à notre échelle, avec une production naturelle et donc « facile » à traiter, quel bel exemple concret d’économie circulaire !